C’est la phrase que j’ai prononcée avec un large sourire à l’accueil de la maternité, le vendredi 11 octobre dernier. Il y a 3 mois…
Le médecin, que j’avais vu 10 jours avant avait proposé cette date pour le déclenchement, si les jumeaux ne se décidaient pas à arriver par leurs propres moyens avant.
Pendant ces 10 jours, j’ai repris une activité normale. Du moins, normale pour une personne avec quasiment 6 kg de bébé dans le ventre. Je pouvais à nouveau porter mon fils, marcher ou prendre le bus, faire les courses et monter les escaliers. Tout ce qu’on m’avait déconseillé de faire pendant le mois précédent, après la petite alerte des 33 SA.
Mais malgré tout cela, les bébés, bien au chaud, nourris et cajolés, avaient choisi de ne sortir que quand on les mettrait dehors par la force de l’ocytocine sous perfusion.
J’en étais donc rendue à 37+5 SA, autant dire à terme pour des jumeaux. 17 kg en plus au compteur, tous pris dans le ventre (et les hanches et les fesses mais ça c’est une autre histoire). Une fatigue assez prononcée, causée par les insomnies des 8 derniers mois. Celles du début, que j’appellerais «d’excitation», celles du milieu qu’on pourrait qualifier «d’angoisse» et celle de la fin que toutes mamans à terme désigneront comme «d’inconfort». J’aurais adoré connaitre l’excitation d’un début du travail à la maison, les quelques minutes d’hésitation où on se dit «Est ce que c’est le moment d’y aller, vraiment ??». Tous mes accouchements ont été déclenchés, je ne connaitrais pas cette étape là de la naissance. Il me reste ce minuscule regret…
La veille, j’avais prévenu mon papa, le seul dans la confidence, pour qu’il aille chercher Adil à l’école, en fin de matinée. Nous avions prévu qu’ils déjeunent ensemble puis qu’ils viennent à la maternité dans l’après midi, puisqu’on nous avait dit que ce serait rapide.
Et ce jour là, le vendredi 11 octobre 2013, je n’avais qu’une envie : qu’on me déclenche. Et c’est ce qu’ils ont fait, très rapidement…
Arrivée à la maternité : 9h15
Installation en salle de naissance : 10h
Pose de la péridurale : 11h30
Pose de la perfusion d’ocytocine : 11h45
Dilatation complète : 12h30
Poussée(s) et naissance(s) : 13h25 et 13h29
Tout s’est merveilleusement bien passé. A notre arrivée en salle de naissance, la super Sage Femme qui s’occupait de nous, Marie Jo, nous prévient qu’une équipe de tournage de l’émission «Les Maternelles» est dans la maternité et nous demande si nous voulons bien être filmés pendant l’accouchement. Nous refusons. C’est un moment très intime pour nous et moi j’ai peur qu’ils nous portent la poisse. Marie Jo nous explique ensuite comment va se dérouler la suite de la journée. On me pose le monitoring, on prend mes constantes. Le monitoring n’arrête pas de biper, J2 (bébé garçon, à gauche) bouge beaucoup, on n’arrive pas à capter son rythme comme il faut. Sa sœur est bien calme, toute prête à sortir la première. Ça a l’air de ne pas leur plaire qu’il bouge tant que ça alors on appelle un médecin pour faire une échographie, qui permettra de bien le situer et de voir comment se passera sa naissance à lui, une fois sa sœur sortie. Et en effet il bouge beaucoup mais du coup il est idéalement placé pour la sortie. Position céphalique pour les 2 bébés, leurs têtes se touchent. Je pense qu’ils mettent au point leur plan d’évasion. Une fois les capteurs bien placés, on réussit à prendre 20 mn de rythme cardiaque. Niveau contraction, c’est toujours le calme plat. Le col est ouvert à 3. On va pouvoir passer à la pose de la péridurale.
Je ne me souvenais pas que ça faisait aussi mal, cette sensation de lourdeur et de décharges électriques dans le dos, je les avais oubliées. Et je trouve que ça a duré longtemps. Mais le système n’a pas changé depuis la dernière fois. C’est la patiente qui gère sa péridurale. Il faut appuyer sur un bouton qui envoie une dose, qui prend environ 5-10 minutes pour faire effet. Une fois la péridurale posée, on va pouvoir passer à la perfusion d’ocytocine.
On nous explique que l’ocytocine peut agir en 10 minutes ou bien que ça peut prendre plus d’une heure avant que les premières contractions ne débutent. Ce qui est sûr, c’est que ces contractions provoquées sont fortes et vite douloureuses. C’est pour ça qu’on m’a posé la péridurale avant, pour éviter d’avoir à le faire avec des fortes contractions. Je me souviens à cet instant m’être dit que j’avais faim mais que je n’étais pas prête de manger… Marie Jo décide de percer la première poche des eaux. Le liquide amniotique est clair, tout va bien. Et là, sur le monitoring, on voit que les contractions commencent à arriver. Je ne les sens pas, je n’ai pas mal, je suis bien. On discute, on rigole, on se demande comment ils seront… L’auxiliaire de puériculture vient nous demander les prénoms que nous avons choisis. Pour préparer les petits bracelets. On nous dit qu’un autre couple est dans la salle d’à côté, pour des jumeaux, un garçon et une fille également. On nous laisse seuls, je m’assoupis un peu. Et je me réveille, je commence à sentir quelque chose. J’appuie (plusieurs fois) sur le bouton de la péridurale. J’ai fait la même erreur que pour Adil, je ne sentais pas les contractions, je n’avais pas mal, j’étais bien et j’ai oublié d’appuyer sur le bouton de la péridurale. Je reconnais cette sensation. C’est le bébé qui descend. Je me retiens de pousser, mais j’en ai très envie. Une interne arrive à ce moment là, elle nous demande si ça va et on lui que j’ai envie de pousser. Et c’est là que tout s’emballe. Marie Jo vérifier mon col, qui est à dilatation complète. Tout est allé très vite. Mais le bébé n’est pas encore assez bas. Sauf que l’interne a prévenu toute l’équipe… Fausse alerte. Tout le monde repart. Il faut savoir qu’un accouchement de jumeaux n’est pas très confidentiel. Il y a une grande équipe présente dans la salle de naissance. Nous étions 11 dans la salle. La sage femme et une étudiante, l’interne, l’externe, une infirmière, un anesthésiste, un pédiatre, une auxiliaire de puériculture, tout ce petit monde chapeauté par le médecin chef de la maternité. Et nous… Marie Jo reste avec nous, ainsi que l’anesthésiste qui me remet une dose plus forte car je sens toujours la descente du bébé et ce n’est pas super agréable. Trente minutes après, c’est l’heure. La petite fille est assez descendue. On voit sa tête. Ça va être l’heure de pousser. Je n’ai pas peur, je suis bien. Sauf que la grosse dose de péridurale m’empêche de sentir quoi que ce soit. Je pousse, mais j’ai l’impression de ne pas être efficace. Les 2 premières poussées sont moyennement réussies. On m’encourage. Je ne vois pas les 20 yeux braqués sur moi, je regarde droit devant et j’entends juste mon mari qui me dit «Allez c’est super ce que tu fais». Et là après 2 autres poussées, on me dit «Stop !!», c’est bon, la tête est sortie. «Oh elle a des cheveux». «J1 c’est la fille c’est ça ?» «C’est ton premier accouchement de jumeaux ?». Mon public est assez bavard… Il faut encore pousser une fois pour dégager les épaules. J’y arrive. Et là, Marie Jo me propose d’aller chercher moi même ma fille. Je la prends, je la vois, je la trouve belle et dodue. Et j’éclate de rire. Elle est si belle. Elle se met à crier. On me la pose sur le ventre, on l’essuie. On me dit bravo. Je rigole toujours tellement je la trouve marrante. On demande à mon mari s’il veut couper le cordon. Ce qu’il fait. Amel est née, il est 13h25, ce vendredi 11 octobre 2013…
Elle est posée sur ma poitrine, elle a arrêté de crier. Elle me regarde, elle est belle et le prénom que nous lui avons choisi lui va parfaitement bien. On est gaga, on ne pense même pas à prendre de photo. Ce moment dure 2 minutes. Je n’ai pas vu que pendant ce temps, l’interne s’est mise en place, Marie Jo est montée sur un marche pied à ma gauche. Tout le monde recule car on va percer la seconde poche des eaux. On me dit qu’il va être temps de pousser pour faire sortir le petit garçon. On propose à l’étudiante de prendre Amel en attendant. Je trouve qu’elle s’y prend d’une drôle de manière. Je crois qu’elle n’a jamais tenu un bébé si jeune dans ses bras. Elle a l’air impressionnée. Mes mains suivent Amel de près, celles de mon mari aussi. L’infirmière lui demande sèchement si elle sait comment porter un bébé. Il y a un léger flottement de 5 secondes, puis la pédiatre prend Amel dans ses bras et la garde au chaud. Revenons à l’accouchement. Je vois que Marie Jo est montée tout en haut de son marche pied. Elle touche mon ventre, elle met le bébé dans l’axe de la sortie. L’interne me demande de pousser. Je suis un peu fatiguée mais j’y arrive. En deux poussées, mon petit garçon est là. On me propose d’aller le chercher aussi, de le mettre au monde. Il est tout petit, comparé à sa sœur. Il pleure aussi tout de suite, assez fort. Il gigote. On le pose sur mon ventre, on l’essuie et nos regards se croisent. Il est beau. Il ressemble à son frère Adil. On propose à mon mari de couper le deuxième cordon. Je crois qu’il a fait une blague à ce sujet mais je ne me souviens plus ce qu’il a dit. Il est 13h29, Isaq est né, ce vendredi 11 octobre 2013…
Tout le monde quitte la salle, après m’avoir félicitée. Ils ont encore du travail, les jumeaux d’à côté vont bientôt naitre. Il n’y a que l’interne, la sage femme et l’infirmière qui restent avec nous. Tout de suite après on me repose Amel sur moi. J’ai mes deux bébés collés contre moi. Ils sont tout chauds, ils sont beaux. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés comme ça en peau à peau. Je les aime. On a réussi à aller au bout. Je pense à mon petit Ange au Ciel, je le remercie pour tout ce qu’il fait pour nous.
Les bébés sont ensuite emmenés pour les soins avec Papa qui veille. Pendant ce temps, il faut que j’expulse le placenta. L’interne me demande de pousser. Je n’y arrive pas, je suis un peu fatiguée ou je n’ai plus envie. J’essaye de pousser un peu, ça doit suffire car le placenta est dehors, intact. Par curiosité, je demande à le voir. C’est fou, on voit encore les deux poches où étaient logés les bébés, les membranes sont fines, transparentes, mais encore intactes. Je vois les cordons, qui sont différents. Celui d’Amel est beaucoup plus large que celui d’Isaq. Ce qui explique la différence de poids entre les deux.
Ils reviennent ensuite près de nous. Isaq est déjà habillé, il est petit, il ne faut pas qu’il se refroidisse. Amel est habillée par l’auxiliaire de puériculture, ce sera donc Isaq qui aura la tétée le premier. On essaye de le mettre au sein qu’il trouve tout de suite et sa minuscule bouche tète très bien. Il a l’air si fragile, dans les habits trop grands que nous avons apportés. Amel est ensuite dans les bras de son Papa, elle est toute belle dans son beau pyjama. A son tour de téter maintenant. Comme son frère, elle trouve le sein rapidement et tète très bien.
Il est temps d’appeler Adil maintenant. Nous lui avions promis qu’il serait le premier à connaitre les prénoms de son frère et de sa sœur. Il est tout ému au téléphone. Il comprend ce qui arrive et est très content. On lui dit qu’il va pouvoir venir très vite nous voir. On profite de nos bébés, seuls en salle de naissance. On commence notre apprentissage de parents de jumeaux. J’essaye de récupérer Isaq pour donner Amel à son Papa. On tâtonne, attend, je prends les deux et après tu prends Isaq. Euh tu veux pas faire le contraire plutôt ? Oh bah non, je ne peux pas bouger mes jambes, attend j’aimerais bien me redresser. Ouah t’es trop beau avec les deux dans les bras, attend je prends une photo. T’as pris des photos au fait ? On éclate de rire, il n’a fait que 7 photos, lui qui d’habitude en fait des tonnes…
C’était il y a 3 mois, le 11 octobre 2013…
AUDREY says
Emue aux larmes, je tenais à te remercier d’avoir partager ces merveilleux instants de bonheur qui représentent un tel espoir pour moi! MERCI, MERCI, MERCI!! Je suis tombée sur ton blog par hasard hier en cherchant sur google comment annoncer une grossesse espoir et ton article « vivre une grossesse espoir » m’a tout de suite énormément touchée. Il y a 13 mois, j’ai donné naissance à mon premier enfant, un petit ange qui s’est envolé à 36 sa + 5 jours. Comme pour votre petit Ilian, rien ne présageait ce terrible drame, ma grossesse se déroulait parfaitement bien et jusque la veille de son décès, à l’échographie du 9ème mois, tout allait pour le mieux. J’ai accouché le lendemain de son décès, le travail s’étant déclenché spontanément. Les quelques heures que nous avons passé à le découvrir et le tenir dans nos bras fut à la fois le plus beau et le plus triste moment de nos vies. Il était si beau et parfait: un vrai petit ange, que nous avions désiré et attendu pendant des années, et qui était arrivé après le parcours du combattant de la PMA. Nos histoires se ressemblent étrangement et c’est pour ça que je me suis sentie le besoin de t’écrire. Car je suis à nouveau enceinte, de 11 sa, et j’ai tellement de mal à oser croire en la vie, en l’espoir de pouvoir un jour, comme toi, avoir une petite famille pour laquelle préparer des gâteaux, partager des weekends à jouer, noter des souvenirs, prendre des photos de ces moments de bonheur inestimables qui peuvent sembler si anodins pour ceux qui n’ont pas connus un tel drame. Et c’est toute cette gratitude que je perçois dans tes articles, cette capacité à savourer la vie après avoir vécu le pire. C’est pour ça que depuis hier j’ai passé des heures à lire tes recettes, les petits instants de vie que tu partages sur ce blog sont pour moi autant d’espoirs et me permettent de croire que OUI, c’est possible d’être heureux, que nos petits anges veillent sur nous et nous permettront, je l’espère, de savourer le goût authentique du bonheur!
Nins92 says
À ton tour de me faire couler quelques larmes… Ton message me touche tellement. Je suis sincèrement désolée pour la perte de votre petit Ange. Nos parcours se ressemblent étrangement en effet. La vie nous envoie des épreuves que nous ne comprendrons jamais. Je suis heureuse que tu sois à nouveau enceinte, je te souhaite une belle grossesse espoir avec tout ce qu’elle comporte de plus beau. L’angoisse, la peur seront là parfois mais tu verras, ton bébé saura te rassurer par sa présence. Les bébés espoirs ont cette capacité de tout comprendre de ce qui se passe dans nos têtes. Parle lui de son grand frère, de ce que son arrivée à lui représente aussi. Et surtout si tu es inquiète un jour parles en aux médecins aussi, normalement ils doivent être là pour t’aider à rationaliser un peu tes peurs qui sont tout à fait légitimes après ce que tu as traversé. Oui la vie peut être belle après avoir terriblement injuste. Mes enfants en sont la preuve. Je t’embrasse et donne moi des nouvelles quand tu le souhaites